Mon travail est une recherche sur le paysage. C'est un travail d'ordre analytique qui porte sur une sorte de relation conflictuelle que j'entretiens avec la terre, celle qui nous attache et nous relie à notre histoire. Cette histoire dont il me semble avoir été privé parce que mes parents ont vécus l'exode et la destruction et qu’après la guerre ils ont dû laisser leur famille et leurs amis pour tenter de rebâtir ailleurs une histoire sans attaches. J'ai, pour ma part, toujours ressenti cette perte de l'histoire familiale comme la perte de mes racines profondes : la terre, la culture, les usages. La nouvelle société qui a émergée du chaos n'a pas pu faire le reprisage entre les deux mondes, celui d’avant-guerre en grande partie détruit et celui issu de la modernité dans lequel on se sent comme en manque d'enracinement. Dans le monde contemporain la mobilité est devenue le principe et la valeur essentielle pour tout le monde et pour toute chose. Avec la société actuelle il s’est produit comme un oubli du monde intérieur qui nous a amené, pour un grand nombre, à placer l’utopie de la représentation au centre de notre champ mémoriel pour le considérer comme cette réalité perdue.
Je ne cherche pas à retrouver le regard idéalisé et nostalgique d’un monde perdu, je cherche dans la peinture à avoir une attitude formelle qui repose sur des impressions et des souvenirs que ma mémoire, souvent défaillante, fait affleurer au bord de ma conscience. Des choses si lointaines qu'elles perdent en partie de leur réalité pour ne me donner qu'une illusion de ce qui fait mon histoire.
Je cherche à créer de toutes pièces des paysages qui soient familiers sans pour autant être vrais, une géographie pour laquelle j'éprouverais un profond attachement et un sentiment d'appartenance. Je cherche à retrouver une symbiose avec la nature qui me fascine. Une sorte de Balbec (toute cette imagination transposée dans un lieu qui constitue le socle de l’histoire), faite d'éléments de nature qui m'ont impressionné depuis longtemps ou que je découvre lorsque je suis en quelque pays nouveau et que je voudrais faire miens comme si j’y étais né. Des éléments que je sens inscrits en moi et qui, en étant retranscrits dans un espace pictural, aurait le pouvoir de me mener à travers une quête artistique et esthétique vers mon identité.
J’improvise aussi la peinture avec les multiples sensations qui s'expriment au bout de mon outil et que mes mains savent dessiner dans l'instant de la création. J’explore des idées et des thèmes qui jaillissent soudainement et je les traite pour ce qu’ils sont, dans un esprit ou l’abstraction et une certaine figuration se côtoient par le biais d’un horizon et le jeu des matières.
Je peins une nature dont je sens qu'elle fait partie de mon monde et dont je sais qu'elle est une partie mon identité. Je crée, en séries, des suites de lieux ou de détails qui viennent combler un manque de nature dont la vie Parisienne m'a peu à peu fait prendre conscience et qui peuvent fournir à chaque spectateur le moyen de trouver en eux-mêmes la reconnaissance de leur propre monde. Je regarde beaucoup d’images, mais je laisse ma main guider mon esprit et j’admire tous les paysages. Je me sert aussi du regard que les écrivains portent sur la nature et des mots qu'ils utilisent pour décrire l'espace, la matière et les éléments, cette nature qui est complémentaire de la nature humaine, et en illustre si bien les traits.
Même lorsque que je regarde mes premières peintures, je m'aperçois que cette recherche est déjà là. Certes mal exprimée, parce qu'elle est faite de signes inventés, de figures incomplètes issues de marques de couteau hasardeuses et d'une expression symbolique d'éléments de nature que mon regard traduisait comme tels, à ce moment-là, mais mon idée a toujours été de représenter l'essentiel d'un territoire, sans qu’il ne soit jamais fermé par les limites du tableau parce que l'endroit de mes rêves est infini et qu’il n'existe pas ou bien parce qu’il n'existe plus.